La multiplication des films à succès sans vedettes comme Hunger Games et La Guerre est déclarée oblige les agents à gérer les carrières de façon beaucoup plus fines.
À Hollywood, le triomphe de Hunger Games sans star au cachet exorbitant à l'affiche, est un tournant. «Le star-system est irrévocablement cassé, estime Dorothy Pomerantz, experte en économie du cinéma et chef du bureau de Forbes à Los Angeles. Même dans les franchises comme Spider-Man, le public se moque de savoir s'il va voir Tobey Maguire ou Andrew Garfield qui coûte beaucoup moins cher. Maintenant, les studios leur disent: nous ne vous payerons plus 20 millions de dollars car nous pouvons tourner ce film avec quelqu'un de moins connu pour 5 millions. La star a alors le choix entre réduire significativement son cachet ou supporter de ne pas travailler.»
Pour les stars de la A-List , c'est la fin d'une époque. «À Hollywood, leurs salaires ont toujours été cycliques, rappelle Tim Gray, rédacteur en chef de Variety, la bible du cinéma mondial. Dans les années 60, Elizabeth Taylor avait obtenu 1 million de dollars pour Cléopâtre. Dans les années 70, Marlon Brando était à 6 millions pour Superman.» Mais c'est dans les années 80 que les stars ont vraiment pris le pouvoir. «Elles gagnaient plus d'argent que les studios car elles avaient des «first dollar deals» où elles touchaient avant tout le monde, un pourcentage des recettes du box-office dès le premier dollar engrangé», détaille Tim Gray. Ce type de contrat a aujourd'hui disparu car la crise de 2008 est passée par là. Plusieurs événements sont arrivés simultanément. L'argent qui venait de Wall Street s'est subitement tari. Le marché des DVD s'est écroulé. Dès lors, la liste des acteurs qui pouvaient prétendre à plus de 20 millions de dollars s'est effiloché. De nombreuses stars ont disparu de la fameuse A-list: Eddie Murphy, Tom Cruise, Nicole Kidman, Jim Carrey…. «Pour jouer dans des films qui les intéressaient artistiquement comme Les Marches du pouvoir et The Tree of Life, les grands acteurs comme George Clooney et Brad Pitt ont alors commencé à moduler leurs cachets en fonction des budgets, explique Tim Gray. Et c'est seulement en commençant à écrire, réaliser et coproduire qu'ils arrivent à des sommes qu'ils touchaient autrefois en tant qu'acteurs.» L'impact sur les carrières est énorme. Dans les années 30, les studios formataient les acteurs comme Shirley Temple et Greta Garbo pour un type donné de films. En 2012, les stars américaines alternent les superproductions avec des films indépendants et multiplient les rôles radicalement différents. C'est justement en prenant de tels risques que Leonardo DiCaprio et Johnny Depp arrivent en tête du dernier palmarès des acteurs les mieux payés d'Hollywood, une enquête annuelle de Dorothy Pomerantz pour Forbes.
Avec un peu de retard, le même phénomène arrive en France. Après Des hommes et des dieux, Un Prophète et Tout ce qui brille en 2010, les films les plus rentables en 2011 selon Le Film Français sont La guerre est déclarée, Polisse, Rien à déclarer, Tomboy, Moi, Michel G, milliardaire, Pater et Angèle et Tony. Aucun de ces films n'avait de star au générique. En réussissant à conjuguer film de qualité à des succès commerciaux, ce sont leurs réalisateurs, notamment Valérie Donzelli et Maiwenn qui sont devenues des marques. Dorénavant, y compris dans les multiplexes, le public ira au cinéma pour elles et non plus pour leurs acteurs. Plus éduqué, le public est plus exigeant. C'est ainsi qu'un nombre record de têtes d'affiche ont mordu la poussière. C'est ce qui est arrivé à Christian Clavier, Jean Reno, Mélanie Laurent, Clovis Cornillac, Carole Bouquet, Benoit Magimel, José Garcia, Catherine Frot, Kristin Scott Thomas et même Catherine Deneuve.
Du coup, pour les agents, la gestion des carrières devient de plus en plus fine. «C'est important, une carrière qui dure, souligne Claire Blondel qui regrette, la trop rapide ascension de certains dont on peut craindre que la chute le soit également.» «Pendant les périodes d'enivrement, il faut savoir garder la tête froide et viser la pérennité. Les grandes carrières se font avec des prises de risque. Guillaume Canet fait ça très bien», renchérit Bertrand de Labbey. «D'une part, il faut à la fois travailler avec des réalisateurs de qualité qui vont ouvrir la porte vers les festivals et apporter de la profondeur à une filmographie, estime Elisabeth Tanner. Et peu importe si le film marche. En travaillant avec l'un, l'acteur recevra des propositions des autres. D'autre part, il faut aussi jouer dans des superproductions qui vont apporter une énorme exposition médiatique et permettre de retrouver de la liberté sur d'autres films.» Seul souci: ce choix n'est pas donné à tout le monde. Conscients qu'ils finiront par lasser à force de jouer dans des comédies, beaucoup d'acteurs dont Kad Merad et Franck Dubosc osent des rôles plus dramatiques. Mais si l'un réussit, l'autre a plus de mal. «Le contre-emploi réussit une fois sur dix, ce n'est pas une recette en soi, souligne Bertrand de Labbey. Ceux qui ont passé le cap comme Bourvil et Daniel Auteuil sont d'immenses comédiens. Celui qui est moins bon dans un registre différent doit rester dans le sien. Comme disait Verlaine: un artiste doit avant tout être hystériquement fidèle à lui-même.»
Réf : le figaro
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